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Chienbrun

dimanche 26 juin 2011, par Hervé

Quand le Chienbrun se met à raconter une après midi de bécane c’est toujours un grand moment. Je ne résiste pas au plaisir de vous faire profiter de cette narration d’un balade entre potes sur une petite route cévenole que je ne connais pas trop mal.

Cela a commencé par une réflexion de Jean Michel :

« Quoi, le vieux roule en Ducati ? J’en connais une qui va être contente quand il va faire un double salto dans le col  !! »

La réponse fut savoureuse :

« Ben à mon avis, il est pas prêt de faire des saltos sur cette route là, le vieux grigou, parce qu’il s’en lève la nuit pour limer encore et encore (le col), à cheval sur tout ce qui lui passe sous la main : Mostro, Bonnie, skateboard, moto-bineuse...

J’en ai eu l’exemple le week-end dernier … Je gardais leur home, ils étaient montés visiter la famille de la dame dans le Nord, comme il dit.

J’avais pas de suite pigé pourquoi ils avaient convenus de revenir le samedi, en fait je pense qu’il avait juste envie de me faire faire la visite accompagnée de son territoire.

En fait, il avait bien préparé son coup, le cévenol : déjà quand il est rentré chez lui au plus profond de la nuit, sur sa Bonnie, Annie qui le suivait en Miata avait l’air passablement fatiguée. J’ai mieux compris quand il a expliqué que, soi-disant en suivant les indications du GPS, il était descendu du Mans en passant successivement à Guéret puis à Vichy, à St Flour puis à Jou-sous-Monjou, enfin à St Amant-Roche-Savine pour saluer la mémoire de Viallatte et acheter du jambon.

Elle avait l’air rodée, la Bonnie, avec ses freins tous rouges, ses pots tous rouges et ses amortisseurs tous rouges dans la nuit.

Hervé aussi, il avait l’air rodé, avec les yeux injectés de sang et un sourire découvrant les innombrables moustiques, mouches, bourdons et frelons qui avait terminé la spéciale avec lui. Mais ça fait longtemps qu’il a l’air rôdé, lui. N’empêche, j’étais content qu’Annie l’accompagne, sinon j’aurais crû à l’invasion des profanateurs de sépulture. Surtout dans ce pays.

Annie et le chien sont allés se coucher tout de suite et Hervé a dégoupillé une amphore de gnôle à base d’œil de criquet frelaté, fabriquée par son voisin rebouteux, et il s’est installé à la lueur des brindilles qui cramaient dans un rayon de 5 m autour de la Bonnie en déglutissant qu’il avait fait "bonne route".

A la deuxième amphore je suis allé me coucher prudemment, craignant qu’il ne me propose le col du Rédarès en Miata dans le siège du passager.

Mais le lendemain il était frais comme un gardon et il m’a derechef proposé un petit "tour du propriétaire" en mettant obligeamment à ma disposition la Mostro 600 de sa régulière. Elle est mignonne comme un coeur ( la Mostro ; la régulière aussi mais c’était pas l’objet de l’essai ) avec tous ses accessoires qui vont bien : fourche inversée, pots "tuning", freins, décalcomanies "tuning", plaque d’immatriculation "tuning", tous ces machins qui font que je me demande toujours pourquoi Ducati vend encore des motos toutes montées alors que leurs propriétaires commencent par les démonter.
C’est vrai qu’elles se démontent souvent à l’insu de leur plein gré.

On est parti comme ça pépère, Lou Ravi avec sa Bonnie en pots racing tout juste montés et moi avec ma dégaine de garçon coiffeur sur ma moto de manège.

Le cévenol, il a roulé comme ça pendant une heure : pas un rapport plus haut que l’autre, jamais plus de 60, tellement lent dans les virages que j’avais peur de tomber, à traverser des bleds qu’ont servi de décor naturel à "la guerre du feu", s’arrêtant à la terrasse des bistrots où tu vois l’horizon
jusqu’aux Vosges. Une chouette ballade pour les mirettes qui te donne envie de rendre ta bécane à la vie sauvage.

Moi j’étais aux anges et je trouvais ça bien sympathique la Mostro, et en même temps je me disais "putain y se traîne que c’est pas permis, il a perdu la main le rural, pourtant c’était un kador, une épée qui disaient sur la liste ; c’est plus que l’ombre de lui même, la prochaine fois je vais le
trouver sur une Motosacoche et faudra marcher devant avec un drapeau rouge...."

La dessus voilà qu’on arrive sur une portion roulante du réseau cévenol (la seule, j’imagine), avec un revêtement de bitume tout neuf, de la largeur pour se croiser et des belles lignes blanches pour pas doubler. Hervé s’arrête sur le bord de la route et me fait signe d’échanger les bécanes.
Moi je me dis il est à l’agonie, il s’est fait peur avec les pots racing, faut plus qu’il dépasse 34cv, tiens mon gars prend la Mostro je vais te ramener ta moto d’homme.

P’tain !!! Moi, habitué à la BM j’étais encore à chercher la commande de l’autoradio quand v’là le rural qui démarre comme un taré, poignée dans le coin d’office. Et moi qui part à sa poursuite sur cette bécane que je voyais pour la première fois !

Ah le rascal, il s’en est suivi 20 km de bourre mémorable, la Triumph au rupteur ( de toutes façons j’avais pas eu le temps de repérer le compte-tour et j’entendais pas le moteur), revenant sur Hervé au freinage mais le perdant dans les pulvérisations de charrette. Me souvient pas m’être assis sur la selle, plutôt au rappel un coup à gauche un coup à droite : elle est marrante cette Bonnie : à fond tu sors tout ce que tu peux à l’extérieur, tu l’inscris dans le virage et t’attends le carnet de note en sortie, en
négociant au cas par cas les gesticulations. Quoique avec ses amortisseurs EMC, elle ne gesticule pas trop.

Arrivé au bled suivant, hilares, on fait un pit-stop à la station service, histoire de contribuer à préparer la civilisation de l’après-pétrole. Et la le natif s’est rendu compte qu’il avait oublié dans un coin du garage la clef du réservoir de la Bonnie, qui était sur la réserve depuis vingt bornes...

Je peux pas vous décrire la mine déconfite du cévenol, non pas à l’idée que j’allais pousser la Bonnie sur 20 km et que j’avais pas fait la bonne affaire en changeant de bécane, mais à l’idée qu’on allait rater l’explication finale du col du Rédarès : j’ai compris à ce moment là que le vrai traquenard était encore à venir, la petite sauterie qu’on venait de faire n’étant qu’un test pour vérifier que j’allais pas mettre des tâches de sang partout sur sa belle selle.

A ce moment j’ai vu le cerveau malade du fourbe travailler à assouvir coûte que coûte sa soif de délinquance routière en bande organisée, et après quelques tentatives d’ouvertures au canif qui m’ont fait constater qu’il avait beaucoup perdu depuis les troncs d’église qui ont fait sa fortune, on
a fini chez un pote à lui qui a nourri la Bonnie sous perfusion, utilisant bêtement le principe des vases communiquant d’un bidon de 5 l qui n’était pas de première jeunesse au robinet de réservoir de la Tromph par l’intermédiaire d’un tuyau qui traînait dans le fond du bouclard. Comme quoi le fait de dire qu’en Cévennes ils sont quasiment tous des dégénérés du bulbe c’est une légende .. quoique .. Il faut dire, à la défense des dénonciateurs, qu’en même temps que s’opérait la transfusion le gazier fumait sa Malboro et que le Hervé, pour ne pas être en reste, lui en avait tapé une et jouait avec un Zippo des années folles. Un moment j’ai vraiment cru que nous allions tous nous retrouver en short mais cela s’est fort bien terminé quoique à un moment j’ai envisagé, vu l’anachronisme de la situation, que le criquet allait prendre la suite de la Bonnie sous la perf...

On est reparti presque calmos jusqu’à St Hippolyte du Fort, et à la verticale de la boulangerie, il a remis le couvert avec la Mostro, et c’était parti pour l’explication finale.

Au début j’ai cru le suivre parce que ça va tout droit, mais déjà ça ondule désagréablement, et ça va tellement tout droit que quand ça tourne, tu ne sais pas où mais tu arrives vachement vite. C’est là que tu vois que lui, il sait où ça tourne...Première chaleur avec une Bonnie à l’agonie, les mains moites et les pieds poites, roue arrière bloquée, roue avant bloquée, cerveau bloqué, et comment dire, pas vraiment à la corde dans le droit pris à fond de 4.

Là, il m’avait mis 100 m, mais en me crachant dans les mains et en renonçant à mon espérance de vie d’occidental bien nourri, j’ai plus où moins réussi à le recoller au gré des 504 pick-up qu’on précipitait dans le fossé.

C’est là qu’il a accéléré. Ou peut être pas, d’ailleurs, il a juste continué, sur la bonne trajectoire avec le bon rapport. Moi j’essayais d’entendre le moteur et de sentir les freins, mais comme j’avais un train de
retard sur la moto, j’ai copieusement bloqué les roues, pris les virages à l’équerre en priant St Rita. J’ai même regretté ma BM qui roule autrement plus vite que ce tréteau. Finalement j’ai déboulé au rond point du col pour tomber nez à nez avec l’autre allumé qui terminait de rouler sa Boyard Maïs et
échangeait des biftons avec un gugusse, le genre agricole.

J’ai soupçonné un moment qu’ils avaient parié sur mes chances de survie....."

Chienbrun

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